Les déclarations du président Macron sur le fait que l’envoi de troupes en Ukraine ne pouvait être exclu et le débat parlementaire sur l’accord de sécurité franco-ukrainien ont eu pour effet d’ouvrir plus largement le débat public en France au sujet de la guerre. C’est une bonne chose car, en démocratie, une stratégie n’est vraiment efficace que si les citoyens la comprennent et l’approuvent. Dans ce contexte, les analogies historiques avec des épisodes célèbres sont souvent mobilisées pour offrir des grilles de lecture des problèmes du présent et frapper les imaginations. D’où un débat sur la validité de l’analogie avec les accords de Munich de septembre 1938, par lequel Britanniques et Français acceptent l’annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie pour éviter la guerre.
D’un côté, cette analogie a été tellement galvaudée pour justifier toute sorte de guerre et délégitimer tout dialogue qu’il convient de la considérer avec prudence. Si une solution négociée ne fait qu’anticiper le résultat auquel aboutirait la guerre, alors elle est a priori une option raisonnable pour tout le monde. Quitte à arriver à un compromis, autant y arriver sans passer par les morts et les souffrances de la guerre. C’était le grand argument des munichois : même si Britanniques et Français l’avaient voulu, ils n’auraient pas eu les moyens militaires de s’opposer à la conquête des Sudètes par Hitler. Autant en prendre son parti. Mais l’argument anti-munichois mettait en lumière une autre dimension : la dynamique du rapport de force. En mars 1936, Hitler remilitarise la Rhénanie ; en mars 1938, il annexe l’Autriche ; en septembre 1938, il obtient les Sudètes ; en mars 1939, il annexe la Bohême-Moravie et Memel. À chaque étape, il obtient ce qu’il veut sans combattre. Non seulement la puissance du Reich augmente et des forces qui auraient pu se mettre en travers de sa route, comme l’armée tchécoslovaque, disparaissent sans résistance, mais la conviction de Hitler que les démocraties sont faibles et prêtes à céder sur tout pour peu qu’on agite la menace de la guerre se consolide. Vu sous cet angle, l’enjeu n’est plus tant la question des Sudètes, mais cet engrenage, ce cercle vicieux par lequel Hitler devient de plus en plus fort, exigeant et agressif. C’est cette vision qui finit par prévaloir lorsque Britanniques et Français entrent guerre en septembre 1939 à la suite de l’invasion de la Pologne. Si les Alliés optent cette fois pour la fermeté, ce n’est pas parce qu’ils sont prêts à « mourir pour Dantzig », d’autant qu’ils sont conscients que les habitants de cette ville revendiquée par Hitler sont très majoritairement favorables à leur rattachement à l’Allemagne. Il s’agit de briser l’engrenage. Cette expérience peut-elle contribuer à éclairer le débat actuel sur la guerre en Ukraine ? De fait, des parallèles apparaissent dans la logique des arguments échangés. D’un côté, les partisans de la négociation observent que le front ukrainien s’est stabilisé et qu’il vaut mieux accepter cette réalité que de prolonger inutilement la guerre. De l’autre, les partisans de la fermeté soulignent le risque de cercle vicieux. Selon eux, à ce stade, Poutine recevrait une offre de négociation comme un signe de faiblesse à exploiter par de nouvelles agressions. Comme dans les années 1930, réduire le problème à la question de savoir si nous voulons « mourir pour le Donbass », c’est passer à côté de la vraie leçon de Munich : ce que nous décidons aujourd’hui détermine les rapports de force et les conflits de demain. Les Sudètes, Dantzig ou le Donbass sont les arbres qui cachent la forêt de la sécurité européenne. Reconnaître aujourd’hui les conquêtes territoriales de Poutine, c’est lui permettre de consolider son économie de guerre et de rééquiper ses troupes pour repasser à l’offensive dans quelques années, possiblement contre un autre pays, plus que jamais convaincu que les Européens finiront, encore une fois, par reculer sans véritablement mobiliser leurs forces. Et cette nouvelle confrontation risque d’arriver dans un contexte où non seulement les Américains seront encore moins impliqués dans la sécurité du Vieux continent qu’aujourd’hui, mais aussi où les Européens de l’Est auront perdu confiance dans la solidarité de ceux de l’Ouest, et où les Ukrainiens, affaiblis et déçus d’avoir été lâchés, ne seront plus autant disposés à se battre. Autrement dit, contourner l’obstacle aujourd’hui, c’est risquer de le retrouver demain, bien plus redoutable encore. Certains avancent que Poutine n’est pas Hitler et n’a ni la volonté ni les moyens d’affronter l’OTAN. C’est oublier que c’est justement la spirale des reculades des démocraties qui a progressivement renforcé et enhardi Hitler. Même en se tournant contre la Pologne à l’été 1939, le Führer comptait encore sur l’absence de réaction de Londres et Paris. Autrement dit, la question est moins de savoir si Poutine est un nouveau Hitler que comment nous pouvons éviter de le pousser sur la même pente, dans le même engrenage. Cela ne signifie pas qu’aucune solution négociée n’est possible. Mais qu’une solution réelle, durable, doit être assise non sur un désir de paix à tout prix, mais sur la pleine mobilisation de notre industrie de défense, la fermeté de nos positions, la confiance entre alliés, et la certitude, inculquée à l’adversaire, qu’il n’a plus intérêt à nous défier. En définitive, s’il y a un point sur lequel la situation actuelle diffère radicalement du problème tel qu’il se posait en 1938-39, c’est l’attitude du pays agressé. Alors que la Tchécoslovaquie, se voyant abandonnée, a renoncé à se défendre face aux Nazis, l’Ukraine, elle, se bat. Si l’armée allemande avait pu être fixée en Tchécoslovaquie en 1939, sans même que Britanniques et Français aient à prendre part directement au conflit, nul doute que ces derniers y auraient vu une chance inespérée, un rempart à soutenir à tout prix. Nous ne mourons pas pour le Donbass, mais les Ukrainiens meurent pour l’Europe. Comments are closed.
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